jeudi 16 octobre 2008

Alain Ehrenberg : "La dépression est entrée dans nos modes de vie"



Le sociologue français Alain Ehrenberg s’est intéressé à la perte des repères et aux malaises individuels dans la société moderne. Directeur du Centre de recherche psychotropes, santé mentale, société (Cesames) et codirecteur du groupement de recherche "psychotropes, politique, société" au CNRS, il a notamment publié La fatigue d’être soi. Dépression et société(Odile Jacob, Paris, 1998).

Face à la crise financière actuelle, aux menaces de récession et d’augmentation du chômage, les Français peuvent-ils connaître une vague de malaise généralisé?

Alain Ehrenberg: Je ne pense pas que la situation actuelle puisse conduire à une plus grande dépression des individus. Dans la société moderne, les problèmes s’expriment déjà en terme d’angoisse, d’anxiété, de souffrance. Il existe un véritable marché de la plainte d’une part et, d’autre part, une large offre de soutien psychologique. Aux Etats-Unis surtout, mais aussi en France, les psychologues et psychiatres voient leur clientèle augmenter, les individus suivent des thérapies, prennent des médicaments, les livres de self-help fleurissent.

La situation n’est donc pas comparable avec la crise des années 30. Les problèmes ne se posaient pas en terme de dépression. Aujourd’hui, on raisonne en terme de malaise. La dépression est entrée dans nos modes de vie, dans nos mœurs. Elle devrait encore se développer, mais indépendamment de la conjoncture économique.

Qu’est-ce que la dépression?

A.E: Il s’agit d’un état mental qui se traduit par des phénomènes de lassitude, de pessimisme ou de dépréciation de soi. La dépression occupe une place majeure dans l’ensemble des symptômes psychopathologiques actuels. Elle n’est plus seulement une grave maladie, comme auparavant. Beaucoup de gens disent traverser une phase de dépression pour expliquer leurs problèmes.

Quelles sont les catégories de population les plus susceptibles d’être touchées par une dépression?

A.E: D’après des enquêtes récentes, les classes populaires sont plus sensibles à la dépression. Par ailleurs, les femmes sont plus souvent déprimées. Mais les hommes consomment plus d’alcool, qui constitue une auto-thérapie de la dépression. Les statistiques doivent donc être replacées dans leur contexte.
Crédit photo : © Flickr / Ozan Ozan

Propos recueillis par Audrey Garric

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